Pourquoi l’automédication séduit-elle autant de seniors ?

Avec l’âge, les petits maux du quotidien deviennent parfois plus fréquents : douleurs articulaires, troubles du sommeil, désagréments digestifs… Pour y faire face, il peut être tentant de chercher une solution rapide, souvent à portée de main dans l’armoire à pharmacie. C’est ainsi que de nombreuses personnes âgées choisissent de s’automédiquer, parfois sans penser aux risques réels de ce geste devenu réflexe.

L’automédication désigne l’usage de médicaments, généralement disponibles sans ordonnance, sans avis médical préalable. C’est une pratique très répandue : selon une enquête menée par l’ANSM en 2022, plus d’une personne âgée sur deux utilise au moins un médicament sans prescription chaque mois (ANSM).

Si ce geste part souvent d’une volonté d’autonomie ou d’un besoin de soulager un inconfort immédiat, il comporte néanmoins des dangers spécifiques chez les seniors, en raison de la fragilité accrue liée à l’âge et à la présence fréquente de maladies chroniques.

Les dangers spécifiques de l’automédication chez les plus âgés

Risque d’interactions médicamenteuses : un enjeu sous-estimé

La plupart des seniors prennent déjà plusieurs traitements quotidiens: en France, plus de 40% des plus de 65 ans consomment cinq médicaments ou plus simultanément (source : Assurance Maladie). Ajouter un médicament, même en vente libre, peut provoquer des réactions imprévues :

  • Interactions médicamenteuses : Un antihistaminique contre les allergies ou un anti-douleur en vente libre peut interagir avec un anticoagulant ou un traitement du diabète. Certaines associations augmentent le risque d’effets secondaires graves (hémorragies, troubles cardiaques, chutes…).
  • Accumulation de principes actifs : Certains médicaments de marques différentes contiennent la même molécule. Prendre deux produits pour une même douleur expose au surdosage sans s’en rendre compte.

Effets secondaires plus marqués chez les seniors

Le corps âgé élimine moins rapidement les substances. Le foie, les reins, l’ensemble de l’organisme fonctionnent parfois au ralenti : un comprimé anodin pour un adulte en pleine santé peut provoquer une chute de tension ou une confusion chez une personne âgée.

  • Chutes : Certains médicaments (somnifères, anxiolytiques, antihistaminiques…) augmentent de façon très nette le risque de chute. Ces accidents domestiques représentent la première cause d’accidents mortels chez les plus de 65 ans (Santé Publique France).
  • Confusion, troubles cognitifs : Les psychotropes, les anticholinergiques, mais aussi des médicaments contre la toux ou le rhume peuvent altérer la vigilance, perturber la mémoire ou aggraver un début de démence.
  • Problèmes digestifs : Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme l’ibuprofène, pris fréquemment pour soulager douleurs ou fièvre, augmentent le risque d’hémorragie digestive et d’ulcère.
  • Déséquilibres hydro-électrolytiques : Certains laxatifs ou diurétiques « achetés en pharmacie » peuvent provoquer une déshydratation ou des troubles du potassium, aggravant le risque cardiaque.

L’automédication, source fréquente de retard diagnostic

En masquant les symptômes avec des traitements pris sans consultation médicale, il n’est pas rare de retarder la prise en charge d’une pathologie plus sérieuse : un mal de tête soulagé par du paracétamol peut cacher une infection, une douleur thoracique banalisée par automédication peut retarder la détection d’un infarctus ou d’une pathologie pulmonaire.

Chiffres clés et informations remarquables

  • 12 % des passages aux urgences chez les seniors sont liés à des effets indésirables d’un médicament, dont une part significative suite à une automédication (Haute Autorité de Santé).
  • Selon une enquête du Credoc (2021), 53 % des plus de 70 ans déclarent avoir déjà pris des médicaments sans avis du médecin au cours des 12 derniers mois.
  • Le paracétamol reste la molécule la plus fréquemment utilisée en automédication, avec 15 000 intoxications recensées par an en France, tout âge confondu (Centres antipoison).
  • En 2023, près de 600 décès étaient attribués à une mauvaise utilisation des médicaments chez les personnes de plus de 65 ans (Inserm 2023).

Les idées reçues les plus fréquentes : décryptage

  • « Si c’est en vente libre, c’est sans danger » : Beaucoup de médicaments accessibles sans ordonnance peuvent provoquer des effets secondaires graves chez les seniors, en particulier en cas de maladies chroniques ou de fragilité rénale.
  • « J’ai déjà pris ce médicament, je peux recommencer » : Le corps change avec les années. Une dose supportée à 60 ans ne l’est plus toujours à 80 ans, surtout si d’autres traitements ont été prescrits entre-temps.
  • « Les remèdes naturels ne présentent aucun risque » : Tisanes, compléments alimentaires, huiles essentielles peuvent interagir avec les médicaments ou provoquer des allergies ou des troubles chez des personnes sensibles.

Comment limiter les risques : recommandations pratiques

Quelques comportements simples peuvent sécuriser l’utilisation des médicaments chez les seniors :

  1. Vérifier systématiquement la compatibilité : Avant de prendre un médicament, même simple, il est important de vérifier s’il est compatible avec les traitements en cours. Les pharmaciens sont là pour vous conseiller gratuitement.
  2. Demander conseil en cas de doute : En cas de nouveau symptôme — fièvre qui persiste, douleur inhabituelle, fatigue inexpliquée — mieux vaut consulter un médecin que masquer les signes.
  3. Lire attentivement la notice : Effets indésirables, contre-indications, situations à risque… Prendre le temps de lire ce qui est inscrit sur la notice permet d’éviter bien des erreurs.
  4. Ne jamais mélanger plusieurs médicaments sans en parler : Cela concerne aussi les compléments alimentaires, produits naturels ou même plantes médicinales.
  5. Tenir à jour un « passeport-médicaments » : Noter tous les médicaments pris, y compris ceux sans ordonnance, pour faciliter l’avis du professionnel de santé.
  6. Transmettre l’information aux aidants et à la famille : Pour une meilleure surveillance, il peut être utile que les proches connaissent les médicaments utilisés.

Automédication : signaux d’alerte à ne jamais négliger

  • Somnolence inhabituelle ou confusion soudaine
  • Vertiges, chutes, troubles de l'équilibre après la prise d’un médicament
  • Réactions allergiques (urticaire, œdème, difficultés à respirer)
  • Saignement inexpliqué, surtout si associé à la prise d’antidouleur ou d’anti-inflammatoires
  • Douleur abdominale intense ou vomissements persistants

À l’apparition de l’un de ces symptômes après la prise d’un médicament, il est important d’arrêter la prise et de contacter un professionnel de santé ou le centre antipoison (numéro : 0 800 59 59 59).

La place du pharmacien : un allié essentiel

Le pharmacien n’est pas seulement un « vendeur de médicaments » : il connait les risques particuliers liés à l’âge et leur accumulation, et peut alerter sur les dangers d’une prise inadaptée. Il peut proposer des solutions alternatives, alerter sur les interactions, et transmettre, si besoin, des conseils au médecin traitant.

Selon l’Ordre national des pharmaciens, 65 % des seniors déclarent ne pas demander systématiquement conseil au pharmacien lors de l’achat d’un médicament : une marge importante pour renforcer la sécurité des plus âgés.

Environnement, habitudes, territoires : pourquoi bien s’informer localement ?

Dans notre région, comme ailleurs : les habitudes perdurent, et l’accès à l’information varie selon les professionnels, les structures, les réseaux de santé et d’accompagnement. Certaines mairies, associations locales ou coordinations gérontologiques mettent à disposition des outils de suivi ou proposent des ateliers de formation sur le bon usage des médicaments. N’hésitez pas à contacter votre CCAS ou la maison des solidarités locale pour repérer ces initiatives.

Pour avancer : informer et accompagner au quotidien

L’automédication n’est pas néfaste en soi, mais elle exige une vigilance accrue chez les seniors. Les risques spécifiques à l’âge, aux traitements multiples, à la modification des organes éliminateurs sont autant de raisons d’adopter une attitude prudente. Les proches aidants, les professionnels locaux et les seniors peuvent tous agir pour prévenir les complications.

Les outils d’information à jour, les conseils de proximité, et la formation des seniors et de leurs familles restent les meilleurs atouts pour préserver la santé et l’autonomie tout en gardant une certaine liberté d’action face aux petits maux du quotidien.

Pour aller plus loin : consultez le site de l’Assurance Maladie (Ameli.fr) pour des informations claires et actualisées, ou n’hésitez pas à interroger un professionnel pour toute question spécifique à votre situation ou celle de vos proches.

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