Vieillir, c’est aussi vivre avec un organisme qui change

Au fil des années, le corps humain évolue, et cela concerne bien plus que les rides ou la couleur des cheveux. Les changements liés à l’âge touchent l’ensemble de notre organisme, du fonctionnement du foie à celui des reins, en passant par le système digestif ou nerveux. Or, ces modifications peuvent complètement bouleverser la manière dont notre corps réagit aux médicaments. Prenons le temps de comprendre pourquoi il est essentiel de se pencher sur l’adaptation des traitements médicamenteux à mesure que l’on avance en âge.

Des organes qui ne “travaillent” plus pareil

C’est une réalité : les organes qui métabolisent et éliminent les médicaments (principalement le foie et les reins) voient leur efficacité diminuer progressivement. À 80 ans, il n’est pas rare que le débit de filtration rénale soit réduit de moitié par rapport à celui d’un adulte de 30 ans (source : Inserm). De même, le foie perd environ 30% de sa capacité de métabolisation entre 30 et 80 ans.

  • Moins d’eau dans le corps : avec l’âge, la proportion d’eau dans le corps diminue (de 60% chez l’adulte jeune à 50% chez la personne âgée). Or, certains médicaments sont dilués dans l’eau, ce qui augmente leur concentration sanguine.
  • Plus de graisse corporelle : à l’inverse, la masse grasse augmente légèrement, affectant les médicaments “liposolubles” qui s’accumulent parfois dans les tissus adipeux, allongeant leur durée d’action.
  • Sensibilité accrue du cerveau : le système nerveux devient plus sensible à certains médicaments (somnifères, anxiolytiques, antidépresseurs, etc.), avec un risque accru de confusion ou de chutes.

Combien de seniors prennent des médicaments différents ? Des chiffres qui interpellent

En France, selon la Haute Autorité de Santé, près de 90% des personnes âgées de plus de 75 ans prennent au moins un médicament tous les jours, et plus de 60% en prennent cinq ou plus (“polymédication”). La polypharmacie, c’est-à-dire le fait de cumuler plusieurs traitements, est un facteur connu d’effets secondaires, surtout quand les dosages ne sont pas adaptés aux besoins de chacun (source : Drees, Études et Résultats, février 2021).

Pourquoi adapter les doses ? Les risques d’un dosage inapproprié

Prendre la dose “standard” d’un médicament peut paraître logique, mais chez la personne âgée, ce choix n’est pas toujours le bon. L’accumulation du médicament dans l’organisme, liée à une élimination plus lente, expose à divers dangers :

  • Effets indésirables : somnolence, chutes, troubles digestifs, confusion, troubles cardiaques…
  • Interactions entre médicaments : certains traitements augmentent ou diminuent l’action d’autres médicaments, parfois de manière imprévisible.
  • Hospitalisations évitables : selon la Fédération Hospitalière de France, environ 10% des hospitalisations des seniors sont dues à des effets secondaires de médicaments, souvent en lien avec des posologies inadaptées.

Quels médicaments sont concernés par une adaptation de la dose ?

L’adaptation des doses ne concerne pas tous les médicaments, mais certains sont particulièrement à surveiller :

  • Hypnotiques et anxiolytiques : forte sensibilité, risque de confusion, chutes, somnolence diurne.
  • Antidépresseurs : risque d’accumulation et d’effets sur le rythme cardiaque.
  • Médicaments contre l’hypertension et les troubles du rythme cardiaque : monitorer la tension pour éviter les chutes de pression, vertiges, malaises.
  • Antidiabétiques oraux et insuline : risques accrus d’hypoglycémie.
  • Antalgiques forts (“opiacés”) : accumulation, effet sédatif accentué.
  • Médicaments pour la mémoire (anti-Alzheimer) : tolérance parfois réduite, indications précises à réévaluer régulièrement.

Mais attention, même des traitements “courants” comme les anticoagulants, les anti-inflammatoires, certains antibiotiques ou les laxatifs nécessitent un suivi rapproché chez la personne âgée.

Comment sont adaptées les doses ?

L’adaptation des doses n’est pas le fruit du hasard. Les professionnels de santé s’appuient sur :

  • La clairance rénale : ce chiffre permet d’évaluer la capacité des reins à éliminer un médicament. Elle est calculée lors d’une prise de sang, grâce à la créatininémie (dosage de la créatinine sanguine).
  • Le bilan du foie : des analyses permettent de vérifier que le foie “gère” toujours correctement les médicaments.
  • L’état général : poids, dénutrition, état de déshydratation, antécédents de chutes ou de troubles cognitifs, etc.

Chaque nouvelle prescription ou renouvellement est l’occasion de faire le point sur les traitements en cours (“conciliation médicamenteuse”), d’ajuster la posologie, voire de supprimer un médicament inutile (“déprescription”).

Des recommandations officielles pour la sécurité des seniors

En 2015, la Haute Autorité de Santé a publié une fiche sur “la conciliation des traitements médicamenteux chez la personne âgée”, pointant l’importance d’adapter les posologies et d’éviter certains médicaments jugés inappropriés. Par ailleurs, la liste “Beers” (établie par l’American Geriatrics Society) répertorie les médicaments à éviter ou limiter chez le sujet âgé (source : HAS).

  • Un bilan régulier s’impose : au moins une fois par an, il est recommandé de revoir l’ensemble des traitements avec un médecin ou un pharmacien pour ajuster au mieux les doses.
  • Informer et questionner : la communication entre la personne, son entourage et les professionnels de santé est indispensable. N’hésitez jamais à demander pourquoi un traitement change ou pourquoi la dose baisse.

L’importance du dialogue avec le pharmacien et le médecin traitant

Pharmaciens et médecins généralistes jouent un rôle clé dans l’ajustement des doses. Le pharmacien, par exemple, peut repérer les “alertes” grâce au dossier pharmaceutique et signaler des posologies inadéquates. Certaines pharmacies proposent d’ailleurs un “bilan partagé de médication” pour analyser l’ensemble des prescriptions et réduire les risques (remboursé pour les plus de 65 ans en cas de polythérapie).

  • Signaler tout nouvel effet ou symptôme : une somnolence soudaine, une chute, un malaise, un changement d’humeur… peuvent être liés à un médicament.
  • Apporter sa liste de médicaments : lors de chaque rendez-vous médical ou hospitalisation, il est préférable d’avoir une liste écrite à jour.

Le médecin ajuste également les prescriptions en fonction des pathologies nouvelles ou d’une hospitalisation : il peut baisser les doses, espacer les prises, ou même arrêter certains médicaments.

Bonnes pratiques pour les seniors et leurs proches

Pour limiter les risques et vivre plus sereinement avec ses traitements, voici quelques recommandations concrètes :

  • Ne jamais modifier soi-même une dose : même si on se sent mieux ou moins bien, toute modification doit être validée par un professionnel de santé.
  • Respecter les horaires de prise : et éviter de doubler des doses en cas d’oubli, sauf avis médical.
  • Boire suffisamment d’eau : la déshydratation accentue la toxicité de certains médicaments.
  • Faire surveiller sa fonction rénale et hépatique régulièrement : selon avis médical.
  • Être attentif aux signes d’alerte : fatigue excessive, confusion, troubles visuels, malaises…

Focus : Initiatives locales et outils pour s’informer

Dans le département de l’Ain et ailleurs, plusieurs initiatives locales visent à sensibiliser les seniors aux spécificités de la médication à l’âge avancé, comme les ateliers “Bon usage du médicament” proposés par les maisons France Services, ou les conférences organisées par les Ehpad et clubs de retraités.

  • L’association France Assos Santé propose des guides gratuits pour mieux comprendre les notices et éviter les erreurs de prise.
  • Le site mesmedicaments.com permet de gérer, en ligne ou par smartphone, la liste de ses traitements.
  • Le dossier pharmaceutique, accessible dans toutes les pharmacies de France, centralise l’historique des médicaments délivrés (pour éviter les doublons).

Pourquoi l’adaptation des doses est un enjeu de santé publique pour le bien vieillir

Ajuster les doses de médicaments en avançant en âge n’est pas anodin : c’est un geste de prévention essentiel pour préserver la qualité de vie, éviter les complications, et maintenir le plus longtemps possible l’autonomie des seniors. À l’heure où la population des plus de 75 ans augmente rapidement (les plus de 75 ans représentaient 10% de la population française en 2022, selon l’Insee), il est plus que jamais nécessaire de faire de l’adaptation médicamenteuse une priorité en médecine gériatrique.

Si l’on devait retenir une chose : le “traitement standard” n’existe pas chez la personne âgée. Chaque organisme vieillit à sa manière, et les médicaments, même les plus banals, peuvent réserver des surprises inattendues. S’informer, dialoguer et ne jamais hésiter à faire le point régulièrement sur ses prescriptions, c’est se donner toutes les chances de profiter d’un bien-vieillir en santé et en sérénité.

Pour aller plus loin :

  • Guide “Bien utiliser les médicaments chez l’adulte âgé” – Haute Autorité de Santé
  • Études INSEE et DREES sur la santé des seniors
  • Site francemedecine.fr pour les informations générales sur les médicaments

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