
Fleuve le plus puissant de France, le Rhône joue un rôle majeur dans l’équilibre du territoire, qu’il s’agisse de la faune et de la flore, de l’agriculture, de l’économie sous toutes ses formes…
Alors que le changement climatique est à l’œuvre, le fonctionnement du fleuve se modifie. Une étude a été menée à la demande de l’Agence de l’eau en partenariat avec la DREAL, de façon à pouvoir adapter nos modes de vie.
Les restrictions d’eau sont déjà à l’œuvre dans l’Ain, en particulier dans la Dombes Sud, placée en alerte renforcée. La sécheresse prolongée de cet hiver n’est qu’un signe parmi tant d’autres du changement climatique en cours. Celui-ci a des impacts immédiatement perceptibles, d’autres qui s’inscrivent dans un temps plus long.
C’est le cas de l’évolution des cours d’eau, et en particulier du Rhône, qui façonne notre secteur d’est en ouest. Historiquement, les populations se sont installées à proximité du fleuve le plus puissant de France, avec un débit de 55 milliards de mètres cubes d’eau par an. Le Rhône a permis de nourrir ceux qui l’habitent sous plusieurs formes : au sens premier du terme, avec l’apport en eau pour les cultures, mais aussi en permettant le transport des denrées, ou encore à travers la fourniture d’énergie associée, avec les barrages hydroélectriques ou les centrales nucléaires… Un fleuve ô combien exploité sur ses 810 km de long, depuis sa source, avant le lac Léman jusqu’à la mer Méditerranée, et dont le débit a de lourdes conséquences sur nos modes de vie.
L’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse, en lien avec la Direction Régionale d’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) et le comité de bassin a réalisé une étude sur l’évolution des volumes et des débits d’étiage d’ici trente ans, de façon à connaître la ressource, les usages et anticiper son évolution. Déjà, un constat a été dressé : alimenté par les Alpes, à travers la fonte des neiges et les glaciers, le Rhône possède un débit estival plus important que n’importe quel autre fleuve en France. Même à l’embouchure, 60 % du débit d’étiage provient des Alpes.
En un demi-siècle, l’eau s’est réchauffée de deux degrés chez nous
Si le changement climatique n’est réellement scruté que depuis peu chez nous, en plus d’un demi-siècle, il a déjà produit des effets. Les précipitations neigeuses ont diminué de 10 % depuis les années soixante. La température moyenne a évolué de deux degrés, ce qui entraîne une évapotranspiration plus importante, une plus grande consommation des plantes et donc une pression accrue sur la ressource en eau. De 1977 à aujourd’hui, le débit du Rhône à son embouchure, à Beaucaire, a diminué de 13 %. L’eau s’est réchauffée, avec +2°C sur la partie amont à +4,5°C en aval, impact conjugué des centrales nucléaires pris en compte. Très sollicité, près de 15 % du débit est prélevé en moyenne l’été. On a atteint jusqu’à 30 % pour les années exceptionnellement sèches, comme ce fut le cas en 2011.
L’avenir se dessine avec une diminution du débit encore accentuée l’été. Ce n’est pas la quantité de précipitations qui posera problème, mais la façon dont elles tombent. Avec moins 20 à 40 % de neige en moins et plus de pluies, le régime hydrologique va changer.
Près de 20 % d’eau en moins au mois d’août en 2055
et une baisse de production d’électricité estimée à 10 %
À l’horizon 2055, le débit du Rhône connaîtrait chez nous une évolution à la hausse de 30 % en hiver, 14 % au printemps, mais une diminution de 6 % en été et en automne, avec un pic à -19 % en août. C’est à dire qu’il aura moins d’eau aux périodes où il est le plus sollicité, les périodes exceptionnelles d’aujourd’hui devraient être trois fois plus fréquentes. Ce qui aura inévitablement des conséquences sur les usages, notamment liés au fonctionnement des centrales nucléaires et des barrages fournissant un quart de l’électricité française. La baisse de production électrique est d’ores est déjà estimée à 10 % durant l’été, mais pourrait être compensée l’hiver. On peut également se poser la question de l’avenir des aménagements tels que le canal de Miribel, déjà extrêmement fragilisé, avec l’évolution à la baisse du débit
Mais gare aux “moyennes” communiquées. Le changement climatique implique des phénomènes amplifiés, avec des années sèches de plus en plus fréquentes et des sécheresses de plus en plus marquées. Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau, explique : “Ce qu’anticipent les scientifiques, c’est une dispersion interannuelle plus importante avec des années de plus en plus extrêmes, dans le “plus” d’eau comme dans le “moins” d’eau.”
L’objectif pour les différents acteurs, qui se retrouvent au sein du Comité de bassin, est d’éviter “une guerre de l’eau et de trouver un partage intelligent et une préservation de la ressource” a indiqué le président Martial Saddier. Un véritable casse-tête quand on sait qu’il s’agit de mettre d’accord les agriculteurs, les industriels, les élus locaux, les pêcheurs, les associations environnementales, les usagers…
Tous les acteurs disposent désormais des mêmes données et d’une base de travail. Quelques pistes d’action se dessinent, avec trois axes principaux : retenir l’eau dans les sols, lutter contre le gaspillage et redonner au fleuve un espace de bon fonctionnement pour aider la nature à mieux réguler le cycle de l’eau. Cela se traduira très concrètement, pour les particuliers comme les professionnels et les collectivités à travers l’installation de récupérateurs d’eau, l’utilisation de circuits fermés dans les industries, le colmatage des fuites des réseaux d’eau potable, l’évolution des pratiques agricoles, la désimperméabilisation des sols… 450 millions d’euros par an devraient être alloués dans ce cadre par l’Agence de l’eau.
Voilà pour l’horizon en 2055, où l’on estime que les glaciers seront encore présents dans les Alpes. Qu’en sera-t-il à la fin du siècle ? Sans doute la mer de glace ne sera-t-elle qu’un souvenir lointain pour les plus âgés… La disparition des glaciers semble inéluctable. Alors, les solutions d’aujourd’hui apparaîtront sans doute comme des mesurettes face aux besoins en eau. Les autorités préviennent : “Il est nécessaire d’engager l’adaptation dès maintenant, car le changement est en marche et il est en partie irréversible.”
C.B.