Ils sont professionnels du bâtiment ou particuliers ayant eu besoin d’un terrassement ou d’un enrochement. Tous sont en litige avec le même entrepreneur, basé dans la Plaine de l’Ain. Après des démarches individuelles, une petite dizaine d’entre eux réunis en collectif espère porter l’affaire au pénal.
Cela commence toujours de la même manière : récents propriétaires de maisons ou souhaitant rénover leurs extérieurs, des particuliers sont en quête de terre végétale. Ils effectuent une recherche sur leboncoin et tombent sur un don, à côté de chez eux, à Meximieux. Le contact est pris avec l’auteur de l’offre, qui se rend sur place pour la livraison. La première rencontre est particulièrement cordiale, le donateur est entrepreneur dans le bâtiment. Il fait le tour du propriétaire, propose des travaux, en particulier des enrochements, mais aussi des terrasses, ou la création d’espaces verts pour terminer l’aménagement du terrain.
Le prix défie toute concurrence ou les délais de réalisation sont resserrés
Le prix défie souvent toute concurrence. Ou les délais de réalisation sont particulièrement intéressants. L’affaire est conclue, le contrat signé. Les vérifications d’usage sont effectuées : l’entreprise est bien inscrite au registre du commerce. Le responsable demande le versement d’un acompte assez rapidement… Puis commencent les difficultés : les travaux se font attendre. Un matériel qui n’arrive pas, un retard sur la route, un chien à emmener chez le vétérinaire, une météo défavorable, toutes les excuses sont bonnes. Certains n’ont jamais vu le démarrage du chantier. C’est le cas de Sébastien Bégot, qui venait d’acheter sa maison à Lagnieu lorsqu’il a croisé la route de ce professionnel du bâtiment. Il verse un acompte de 2.772 euros au début de l’année 2021, “les travaux devaient commencer en mars et se finir fin mai. Il n’est jamais venu” décrit-il. Il avait saisi l’émission de Julien Courbet sur RTL et M6 à l’automne 2021. Mais malgré les promesses orales, les sommes n’ont pas été remboursées dans leur intégralité. Vanessa Millo et son mari, eux, ont signé un devis en mars 2022, dans le cadre de la construction d’une piscine pour leur maison de Rignieux-le-Franc. Ils avaient besoin d’un enrochement au vu de la pente de leur terrain. Sur les trois entrepreneurs consultés, le plus rapide à intervenir est le même que pour Sébastien Bégot. 1.500 euros d’acompte sont versés. Après dix reports, de chantier, il n’y a jamais eu, la piscine n’a pas pu être réalisée.
D’autres clients ont vu un démarrage des travaux… sans suite ou avec des malfaçons. À Saint-Jean-de-Niost, Douvres, Meximieux, Miribel, Thil, chacun raconte un déroulement des faits similaires… et ce depuis septembre 2020 pour les cas les plus anciens. Nicolas Mathieu, de Douvres, a recensé une quarantaine d’excuses avancées pour justifier les reports !
Les particuliers ne sont pas les seuls à se plaindre de ces pratiques. Des professionnels en ont aussi fait les frais. Ils ont loué du matériel et des prestations, mais n’ont pas vu les factures honorées. Comme la société Philotrans, à Porcieu-Amblagnieu, dans le Nord Isère. Freddy et Sandrine Favier sont dans le métier du transport depuis près de trente ans. Ils effectuent des prestations de service – location et transport de matériel – pour des clients de renommée nationale. Freddy Favier rencontre notre entrepreneur par le biais de l’un de ses prestataires. “Le premier jour, tout se passe bien. Il me propose alors de fonctionner en direct sans passer par le sous-traitant” explique Freddy Favier. Ils continuent à travailler, deux semaines durant. Son nouveau client se confie. “Il a pleuré sur mon épaule, on l’a pris une journée à la maison.” Mais au cours des discussions, Sandrine commence à avoir des doutes. “On lui a dit qu’on arrêtait, qu’il nous payait ce qu’il devait et qu’on reprendrait après”. Les 3.630 euros attendus n’ont jamais été réglés.
Des milliers d’euros d’ardoises chez des professionnels du BTP
Pour Romain Thizy, le volume est encore plus important. Début 2021, il vient de créer son entreprise dans le Rhône et démarche des clients potentiels. Parmi eux, toujours cet homme de la Plaine de l’Ain. Il loue camion, chauffeur, matériel. “Je l’ai rencontré sur un chantier, on a commencé comme ça. La première facture, de quelques centaines d’euros, est payée, ça s’est bien passé. Je lui ai fait confiance.” Cinq mois suivront et une ardoise estimée à 37.000 euros. “J’étais au début de mon activité, j’avais un peu la tête sous l’eau. Quand j’ai pris le temps de me poser et d’ouvrir les yeux, c’était trop tard.” Notre interlocuteur est d’autant plus désabusé qu’il avait conseillé à son frère de travailler avec son nouveau client. “Il lui a mis une ardoise de 8.000 euros.” Aujourd’hui, l’entreprise de Romain Thizy est en difficulté. Il cherche à obtenir un crédit pour sa trésorerie. “J’ai d’autres impayés, mais pas dans les mêmes proportions. L’ardoise de près de 40.000 euros met en péril la société.”
La justice civile tranche, les huissiers envoyés pour récupérer l’argent
En ce mois de janvier 2023, quelques particuliers et entrepreneurs floués ont décidé de se réunir. Des échanges ont eu lieu via les réseaux sociaux, notamment sur le groupe Facebook Ca se passe dans le coin Meximieux, ce qui a permis de dresser une liste d’une quinzaine de personnes physiques ou morales concernées et un préjudice total qui pourrait être proche 100.000 euros. Chacun dispose d’un dossier complet comprenant les documents administratifs – devis, factures – et les échanges de plusieurs centaines de SMS et de mails. La plupart d’entre eux ont entrepris des démarches individuelles. Ces derniers mois, de premières procédures devant le tribunal de proximité ont abouti avec des décisions ordonnant le remboursement de sommes versées indûment reçues. Néanmoins, les décisions n’ont pas été suivies d’effet et ce sont désormais les huissiers qui ont la charge des dossiers… Du côté des professionnels, Romain Thizy a engagé bureau de recouvrement et huissier pour tenter de récupérer quelque chose. “Il vient de s’engager à me payer 150 euros par mois sur les 22 prochaines années… soit jusqu’à ce je parte à la retraite” résume-t-il. Il attend le premier versement.
Après une première rencontre en présenciel le 17 janvier, et un échange autour de leurs expériences personnelles, les victimes se sentent moins isolées. La plupart ont peu d’illusions sur le fait qu’elles récupéreront leur argent. Mais toutes sont tombées d’accord sur un même objectif : leur mésaventure ne doit pas arriver à d’autres. Après moultes démarches, elles espèrent qu’elles verront enfin une porte s’ouvrir. Une action devant la justice pénale est en train de se lancer. Une première plainte a été déposée à la gendarmerie de Meximieux le week-end passé, avec un dossier complet et la liste des victimes. Sans succès, puisqu’il a été communiqué à la plaignante que les faits ne seraient pas poursuivis dès ce lundi. Des conseils seront pris auprès d’un avocat pour formaliser au mieux les démarches.
C.B.
Contactée à plusieurs reprises, l’entreprise en question n’a pas donné suite à notre appel.