Lumière sur les francs- maçons de l’Ain

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Auteur d’un livre préfacé par Yves Beaurepaire, Christian Buiron lève le voile sur l’histoire de cette entité en pleine expansion. Entretien avec cet Aindinois, membre du Grand Orient de France depuis plus de quatre décennies, qui publiera en septembre prochain un nouvel ouvrage.

Pourquoi avez-vous entrepris l’écriture de ce livre?
J’effectue des recherches sur ce sujet depuis plusieurs années. Je voulais publier un ouvrage exhaustif du XVIIIème siècle jusqu’à nos jours, pour présenter vraiment le paysage de la franc-maçonnerie dans le département. Il sera complété par le Dictionnaire des francs-maçons de l’Ain (sortie en septembre 2021).

Quelle place occupe la franc-maçonnerie dans l’Ain?
La franc-maçonnerie s’est implantée très tôt, au milieu du XVIIIème siècle. Elle s’est mise en sommeil avec la Révolution Française et a eu beaucoup de mal à revenir, pour reprendre racine au début du XIXème siècle. Puis, elle est restée assez discrète avant de s’impliquer dans la construction de la République. La Seconde guerre mondiale a été la pire période de son existence. Le régime de Vichy a interdit la franc-maçonnerie en 1940, tous les francs-maçons ont été inquiétés. À la Libération, la franc-maçonnerie est décimée. Il a fallu tout reconstruire. Ce n’est que dans le dernier quart du XXème siècle que la franc-maçonnerie a vraiment pris une forte ampleur, avec la création de nombreuses loges à la fin du XXème et au début du XXIème. Au XIXème siècle, il y avait une ou deux loges dans l’Ain, maintenant il y en a vingt-cinq.

Qu’est-ce qui explique cet essor?
D’abord, certainement le besoin pour beaucoup de réfléchir sur le monde dans ces périodes troublées. Puis, au XXème siècle, l’arrivée des femmes dans les loges. Jusque là, l’organisation était exclusivement masculine. Au XIXème siècle, on a vu apparaître une obédience mixte et au XXème siècle d’autres obédiences mixtes ou féminines. Les loges ont vu leurs effectifs grossir. Quand on est trop nombreux, on ne peut pas travailler correctement. Les loges sont des sociétés de pensée, certaines se sont scindées en deux. Aujourd’hui, la plupart ont une quarantaine de membres, au-delà cela devient compliqué.

Combien de francs-maçons compte l’Ain actuellement ?
C’est difficile à dire, j’estime entre 700 et 800. Ce chiffre correspond au nombre de francs-maçons et franc-maçonnes dans les loges du département. Mais dans le Pays de Gex, beaucoup sont à Genève. Sur la Côtière, beaucoup sont à Lyon.

Qu’est-ce qu’un franc-maçon ?
Être franc-maçon, c’est concrétiser une volonté de s’intéresser à l’homme et à la société. C’est un engagement de s’améliorer soi-même pour améliorer l’humanité.

Comment devient-on franc-maçon ?
Des femmes ou des hommes peuvent écrire à une loge, intéressés par une démarche d’amélioration de l’humanité. Mais la plupart du temps, cela se passe par cooptation. Par exemple, je connais quelqu’un qui a certaines dispositions, l’ouverture d’esprit, humaniste, tolérant, respectueux des autres… Alors je lui en parle et, si ça l’intéresse, je le présente. On rentre très difficilement, après trois enquêtes de personnalité, sur les affinités politiques ou syndicales et sur les dispositions philosophiques. Il y a une vraie exigence dans l’admission. Pour sortir, c’est beaucoup plus facile et rapide. Par la démission, ou alors, ceux qui n’ont pas un comportement exemplaire sont radiés.

Il existe 7 obédiences et 25 loges dans l’Ain. Quelles sont leurs différences ?
Toutes sont différentes. Des obédiences sont strictement masculines, mixtes et strictement féminines. Une différence existe aussi dans les conceptions métaphysiques. Il est des obédiences où il faut croire à un être suprême, dans d’autres, la liberté de conscience est absolue. Dans une même obédience, chaque loge est différente et a une personnalité propre. Certaines ont historiquement des préoccupations sociétales fortes, elles ont tendance à recruter des hommes et des femmes qui leur ressemblent. D’autres sont plus ouvertes sur les problèmes sociétaux et symboliques.

Comment se passent les réunions ?
En général, elles ont lieu deux fois par mois, cela s’appelle une Tenue. Un frère ou une sœur, parfois plusieurs, décident de traiter d’un sujet. Beaucoup de travaux portent sur la République, la politique, l’éducation, les religions, la laïcité, la santé… Les grands sujets sociétaux sont abordés, transhumanisme, transition écologique, avenir de la planète… mais à la manière maçonnique. On porte un regard distancié.
Le frère ou la sœur travaille souvent longtemps et, ensuite, fait une planche, c’est-à-dire un exposé d’une vingtaine de minutes. Puis, on échange. La discipline est extrêmement rigoureuse. Le Vénérable Maître accorde la parole à ceux qui la demandent. Celui qui prend la parole sait qu’il ne sera pas interrompu. Ensuite, un autre parle, mais il ne s’adresse jamais à ceux qui ont parlé avant lui. Il s’adresse uniquement au Vénérable, c’est-à-dire qu’en réalité il s’adresse à toute la loge. Notre débat est posé, très encadré. Les contributions s’ajoutent les unes aux autres, sans invective. On peut débattre en n’étant absolument pas d’accord les uns avec les autres dans une immense sérénité. La discipline est librement consentie. Tout le monde la respecte, même si on est sénateur ou ministre. Les Tenues sont une source d’enrichissement personnel.

Existe-t-il un “profil” du franc-maçon ?
Cela a énormément évolué dans l’histoire. Au XVIIIème siècle, il y avait beaucoup de nobles et d’ecclésiastiques. Au XIXème siècle, des républicains, des instituteurs, des hommes politiques plutôt de gauche, des partisans de la laïcité sont entrés en loge. Au XXème siècle, cela s’est modifié. Il n’y a plus beaucoup de religieux (lorsque l’Église catholique apprend qu’un prêtre est franc-maçon, il est immédiatement excommunié sans ménagement), plutôt des CSP moyennes, des professions intermédiaires, des professeurs, médecins, des cadres, des petits patrons… Il y a peu d’agriculteurs et d’ouvriers, mais de nombreux hommes politiques. Mais ils sont d’abord hommes politiques avant d’être francs-maçons…

La franc-maçonnerie fait souvent parler pour son réseau “mystérieux”…
Au XVIIIème siècle, quand la franc-maçonnerie s’est créée en Angleterre, elle a permis à des personnes d’opinions religieuses et politiques différentes de se réunir alors que la société était très cloisonnée. Quand elle est arrivée en France dans les années 1730, l’Église catholique a très mal pris les choses, elle n’a pas accepté que l’installation d’une société qui accorde la même importance à toutes les convictions spirituelles. Donc elle a excommunié les francs-maçons. La légende est apparue. En réalité, une Tenue, comme une réunion d’une association société privée, se tient entre adhérents.
La franc-maçonnerie possède aussi des symboles. C’est une société initiatique. Par exemple, le compas est l’emblème de la juste mesure. L’équerre est le symbole de la rectitude et du droit. L’intolérance de l’Église catholique et les persécutions des nazis et du régime de Pétain ont contribué à ternir l’image de la franc-maçonnerie.

Le fait d’être franc-maçon permet-il d’accéder à certaines fonctions ?
Je suis franc-maçon depuis 45 ans. Ma carrière professionnelle n’a pas été favorisée par mon appartenance, c’est même probablement l’inverse ! C’est une société de pensée, on en est membre pour travailler intellectuellement, pas pour s’en servir, mais plutôt pour servir. Bien sûr, les liens fraternels sont très forts entre frères, alors on se comporte comme des amis fidèles, tout simplement. Les francs-maçons sont des hommes. Oui, au sein de la franc-maçonnerie, il n’y a pas que des gens remarquables, il peut y avoir des brebis galeuses, mais elles n’y restent pas longtemps !

Il existe quand même un secret autour de l’appartenance à la franc-maconnerie…
Un franc-maçon est libre de dire ce qu’il veut en ce qui le concerne. En revanche, un franc-maçon n’a pas le droit de dévoiler la qualité d’un autre franc-maçon. C’est un secret d’appartenance, une question d’intimité qui relève de la vie privée. C’est une question de respect. Pour ma part, je n’ai jamais caché mon appartenance.

C.B.
La franc-maçonnerie dans l’Ain Deux siècles et demi d’histoire (1750-2020). Infos sur https://issuu.com/christian.buiron

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